Analyse des organisations
Un modèle pour l'analyse organisationnelle
Xavier Coquelle 01/2003
Définition d'une organisation
Comment analyser la pertinence et la capacité de fonctionnement d'une organisation ?
Pour aborder ce sujet difficile, pourquoi ne pas partir d'une définition simple de l'organisation ?
A cette définition initiale assez conventionnelle préférons une définition plus opérante.
- Définition interne
- Une organisation est un processus qui conduit à la satisfaction d'objectifs en s'appuyant sur des moyens.
- Définition externe
- Une organisation est un dispositif qui sert une finalité en subissant un contexte.
Où :
- La finalité correspond à des buts de niveau supérieur à l'organisation (par exemple : ceux de l'entreprise : produits ou services, politiques, stratégie, …).
- Le contexte correspond aux données d'environnement de l'organisation. Il a des composantes liées à l'organisation (par exemple : la culture de l'organisation ou de l'entreprise) ou indépendants de l'organisation (par exemple : le marché ou la situation économique).
Application du principe de maturité
L'application du principe de maturité permet de garder à l'analyse une finalité opérationnelle. Il va permettre une analyse plus proche du besoin et du contexte réels que ne le serait une analyse moins relativiste. Fut-elle de haut niveau, une approche conceptuelle rencontrerait plus difficilement les préoccupations pratiques de l'organisation et du commanditaire d'une mission, ses résultats auraient du mal à s'exprimer en termes d'actions compréhensibles d'amélioration.
Nous pouvons partir sur trois niveaux a priori :
- Existence de l'organisation
- Organisation opérationnelle
- Organisation maîtrisée
Ces niveaux a priori nous donneront un fil directeur qui permettra d'apprécier par une analyse progressive, la maturité réelle de l'organisation, l'état de ses besoins. La confrontation à la réalité de l'organisation pourra nécessiter une décomposition plus fine ou aménagée de ces niveaux.
Organisation ... existante
L'organisation existe-t-elle ?
La question peut paraître incongrue mais une organisation apparemment identifiée peut ne pas avoir atteint ce statut d'existence officielle ou reconnue. L'organisation existe si chaque terme clef de la définition peut être associé à quelque chose de constatable et avoir un sens:
- en vue interne (le plus simple) : objectifs, moyens, processus.
- en vue externe (le moins neutre) : finalité, contexte.
Pour illustrer ce niveau, nous pouvons prendre un cas où l'organisation semble avoir toutes les caractéristiques requises d'une activité dynamique : le projet en projet.
Notons tout d'abord qu'un projet est effectivement une organisation. Le projet a une particularité : il a un périmètre défini (résultat, échéance) au-delà duquel il sera démantelé.
Les projets trouvent leur source dans une idée qui peut être initialement assez vague. C'est normal. Quelqu'un va porter un regard intelligent sur le sujet, enrôler des ressources disponibles, utiliser des moyens, organiser un processus, imaginer des objectifs pertinents. Un entrepreneur conduit donc une affaire qui roule, quel talent !
Un questionnement simple peut donner ceci.
- Pourquoi ce projet ? (recherche de la finalité)
- L'idée initiale est de …
- Depuis combien de temps travaille-t-on sur cette idée ?
- x années.
- Quels sont les objectifs du projet ?
- Je pense que …
- Quels sont les moyens et ressources à disposition ?
- J'utilise les moyens disponibles de l'entreprise …
- Des étapes de validation sont elles prévues dans votre processus ?
- Bien sur, je vérifie …
Lorsqu'une organisation ou un projet repose sur la bonne volonté d'un individu, le modèle CMM considère que cela correspond au plus bas niveau de maturité possible. En d'autres termes, c'est la première condition d'un risque maximum.
Dans un tel cas, si l'existence de l'entrepreneur du projet peut être avérée, le projet n'existe pas pour autant. Nous sommes face au stéréotype même du projet de projet qui s'installe dans la précarité. Cette activité peut disparaître du jour au lendemain : nulle et non avenue. La finalité est incertaine, elle n'est pas matérialisée par une décision de lancement ou une lettre de mission : la justification d'existence … n'existe pas. Les objectifs sont au stade de l'idée et non à celui de l'engagement de l'entreprise. Les moyens sont trop opportunistes pour qu'il y ait une garantie suffisante de fonctionnement. Le processus est peut être intelligemment défini à cela prêt qu'il ne se confronte pas à la finalité par des validations externes. Le contexte ? Il peut se résumer comme celui d'un risque maximal pour le projet. Pour n'en citer qu'un : celui de la prise de conscience de la part de l'entrepreneur qu'il peut exercer son talent dans de meilleures conditions de soutien ou de garantie : ailleurs.
Les interrogations initiales sur l'opportunité et sur le périmètre d'un projet ou d'une organisation sont légitimes et même indispensables. Si cela dure, cela constitue une condition d'échec probable.
Hélas, j'ai rencontré ce cas à plusieurs reprises où de bons managers ont longuement construit des projets … inexistants. Certains de ces cas supposaient des engagements budgétaires de plusieurs centaines de MF chacun. Quelques uns s'en sont sortis, rarement dans une ambiance très constructive. D'autres, non seulement ont conduit à des abandons de projet mais aussi ils ont eu des conséquences graves sur l'entreprise elle-même : fuite des compétences clefs, perte de crédibilité de l'entreprise dans son domaine, …
Si l'organisation existe, nous pouvons dire qu'elle est dans un état défini. Cet état d'existence constatée par les pratiques n'est toutefois pas une garantie de continuité.
Organisation opérationnelle
Un second niveau d'analyse consiste à s'assurer que l'organisation a atteint un niveau de maturité qui lui garantit un fonctionnement au quotidien.
L'organisation a, avec ses acteurs internes ou externes, des liens effectifs et actifs. La communication est une condition nécessaire pour atteindre cet état opérationnel. Une communication ponctuelle ou événementielle ne suffit pas. Un glissement non contrôlé des caractéristiques de l'organisation peut la faire disparaître dans une obsolescence de fait voire dans une perception d'obsolescence. C'est pourquoi, il vaut mieux s'assurer que les termes clefs sont définis de façon suffisamment formelle et que le lien de communication reste vivant. L'analyste devra vérifier les points suivants :
- Une documentation / communication existe sur l'organisation.
- Cette documentation / communication est à jour (elle correspond à la réalité actuelle de l'organisation).
- Cette documentation / communication a atteint ces cibles internes et externes.
- Ces cibles ont compris les informations reçues.
- Les cibles tiennent compte de ces éléments de façon récurrente dans leur relation avec l'organisation.
Une définition documentaire formelle et stable établit un référentiel de l'organisation. Elle représente le contrat de l'organisation avec les acteurs concernés. Une communication récurrente maintient la dynamique d'action nécessaire pour chaque lien avec les acteurs concernés.
Ces acteurs concernés sont ceux qui ont une influence directe sur l'organisation. Ils sont internes ou externes.
- Commanditaire
- qui décide de l'existence ou non de l'organisation en fonction de son utilité perçue.
- Clients
- qui contractent l'organisation s'ils reconnaissent sa valeur ajoutée en termes de produits ou services.
- Fournisseurs
- qui approvisionnent l'organisation si elle constitue un client " solvable ".
- Producteurs
- qui oeuvrent dans l'organisation si elle constitue une structure d'accueil plausible.
Le défaut d'un de ces liens, formel ou récurent, ouvre sur des dérives difficiles à contrôler qui mettent en péril l'organisation dans son ensemble.
Force est de constater que ce défaut est fréquent.
L'aspect documentaire rebute beaucoup de monde et ce relatif consensus anti-documentaire autorise bien des dérives. L'impression chronique de lourdeur ou de manque de concision des pièces formelles vient le plus souvent d'un mauvais ciblage des documents. Un travail de structuration documentaire et d'optimisation du ciblage permet une meilleure concision : dire ce qu'il y a à dire aux bonnes personnes. Mais le rejet documentaire a aussi ses causes moins avouables : le rejet de l'engagement ou de la responsabilité, la rétention d'information comme outil d'ambition, la difficulté " inavouable " à rédiger, etc. Par exemple, une lettre de mission qui matérialise le contrat passé entre un commanditaire et une organisation peut se réduire à quelques lignes dès lors que la nature du lien commanditaire - organisation est respectée : décision, nomination, orientation, validation et suivi. De même le contrat passé entre l'organisation et ses producteurs n'a pas besoin de détailler les règles et procédures de l'entreprise. Il est certainement plus utile de préciser la base d'intérêt mutuel qui lie un producteur et cette organisation. Les relations de type clients - fournisseurs sont d'un formalisme plus naturellement admis à travers la notion de contrat commercial.
Aujourd'hui, la communication orale a plus le vent en poupe mais reste trop souvent exclusive à l'une seulement des cibles principales. La cohabitation entre le faire savoir et le savoir faire est parfois délicate. Une organisation réellement opérationnelle œuvre dans les deux sens.
L'analyse de l'organisation pourra dès lors se baser sur ces notions simples.
Une organisation vit sur la base de ses contrats avec son commanditaire, ses clients, ses fournisseurs et ses producteurs.
Le lien entre l'organisation et les acteurs demande un suivi récurrent pour converger sur l'intérêt mutuel des contractants.
L'organisation est donc définie et opérationnelle : elle fonctionne sur des bases claires avec des pratiques définies. Le modèle CMM parle d'un état reproductible.
Cette organisation opérationnelle est toutefois soumise à des évènements perturbateurs qui viennent contrarier sa définition idéale et ses bonnes pratiques. Si elle ne s'adapte pas où si elle est en redéfinition permanente, elle a peu de chance de survivre.
Organisation maîtrisée
Un troisième niveau d'analyse consiste à s'assurer que l'organisation a une bonne réactivité face aux perturbations. Cette analyse peut s'appuyer sur une définition interne enrichie de l'organisation.
- Organisation maîtrisée
- C'est un processus piloté conduisant à la satisfaction d'objectifs pertinents en s'appuyant sur des moyens adaptés.
Ces quelques qualificatifs simples font la différence.
Le processus doit répondre correctement aux fluctuations des moyens, des objectifs et de l'environnement externe (finalité, contexte).
Si la définition formelle et statique d'un processus aide certainement l'organisation, cette définition ne peut prendre en compte tous les paramètres de perturbation. Pour n'en citer qu'un seul, disons le facteur humain. Une vision déterministe des processus, si elle est possible, mènerait à un processus usine à gaz incompréhensible, non communicable et qui perd ainsi sa vocation pragmatique.
Le processus de l'organisation possède-t-il une fonction d'adaptation opérante (pilotage) ?
Les producteurs activent ils une fonction de décision de l'organisation en cas de problème dans l'application du processus ?
La pertinence des objectifs est la justification fondamentale de l'existence de l'organisation. Cette pertinence apporte du sens au processus et aux moyens. Une activité durable serait-elle possible sans cela ? La pertinence des objectifs dépend principalement de la zone d'interface entre l'organisation et son environnement externe : finalité, contexte. Tel produit a un marché, tel service est une condition requise du fonctionnement de l'entreprise, etc. La notion de pertinence des objectifs possède aussi un caractère subjectif qui doit être pris en compte. L'analyse de la perception de la pertinence des objectifs doit couvrir les principaux acteurs de l'organisation et de son environnement (commanditaire, clients, fournisseurs, producteurs). L'analyste interrogera dès lors ces acteurs fondamentaux sur la pertinence perçue des objectifs de l'organisation. Il recherchera les réponses sur les deux dimensions : objective et subjective.
Les moyens doivent être adaptés. Leur insuffisance réduit la capacité de production de l'organisation. Et plus insidieux que cet effet quantitatif, cette insuffisance la décrédibilise auprès des acteurs fondamentaux. La surabondance de moyens est, peut être paradoxalement, une source d'inconfort de l'organisation. Elle la décrédibilise aussi auprès des acteurs fondamentaux. Le gâchis économique perçu par ces acteurs génère des doutes sur le professionnalisme ou la pérennité de l'organisation. Les risques sont nombreux : coupes budgétaires, méfiance des clients et fournisseurs, désoeuvrement, peur ou fuite des producteurs (ou ressources humaines), etc.
L'équilibre des moyens en regard des besoins réels est une affaire doublement délicate.
D'une part, il est nécessaire d'identifier et de qualifier le sens de ces " besoins réels ". Par exemple, les moyens et services connexes à la production sont un besoin impératif des organisations dites productrices. Une organisation qui serait gérée au plus court sans prendre en compte les besoins de secrétariat, de qualité voire même de management construirait sa perte.
D'autre part, le besoin en moyen fluctue dans le temps, ne serait-ce que par le biais des variations de son carnet de commande (plus généralement de son contexte).
L'analyste devra dès lors examiner les points suivants :
- Les moyens nécessaires à l'organisation sont-ils :
- clairement définis ?
- régulièrement mesurés ?
- L'organisation contrôle-t-elle la communication sur les moyens vers les acteurs fondamentaux (justifications budgétaires, capacités de production, principes d'approvisionnement, gestion des ressources, …) ?
- L'organisation dispose-t-elle d'une fonction d'ajustement des moyens (qui décide des affectations de moyens en regard du besoin instantané) ?
- L'organisation a-t-elle mis en place des dispositions (politique, processus, partenariat, …) pour gérer :
- la carence de moyen ?
- la surabondance de moyen (notamment la sous activité ponctuelle) ?
Conclusion
Une organisation maîtrisée est certainement le but ultime à viser … pour l'organisation. Est-ce pour autant le but d'une mission d'analyse ?
L'appréciation de cet état " maîtrisé " fait entrer en ligne de compte une combinatoire d'interrogations dans une combinatoire de données tant internes qu'externes à l'organisation, objectives que subjectives. Il serait peu constructif de noyer le commanditaire de l'analyse dans un dispositif méthodologique tentaculaire (qui n'en resterait pas moins réducteur) ?
L'approche méthodologique donnée ci-dessus m'a très souvent permis d'effectuer un débroussaillage initial et de me construire une vue d'ensemble des organisations. Mais ce modèle ne m'a toutefois pas autorisé à faire l'économie d'une intelligence (rappel : faculté d'adaptation) qui exigeait de ma part une approche différente du questionnement et surtout de la restitution des résultats. Pour certains, j'ai exploité un modèle qui s'appuyait sur les acteurs : attentes de l'organisation vis-à-vis des acteurs … et inversement. Pour d'autres, j'ai exploité des modèles plus orientés processus : des boites de traitement qui ont des entrées, des sorties … et des contraintes.
Car aucun modèle conceptuel ne peut se substituer à la réalité d'une organisation, fut-elle une réalité de vocabulaire. Le but consensuel reste pragmatique : que ça marche mieux.
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