Au secours mes croyances !
Xavier Coquelle - publié dans Santé Intégrative N° 33 Mai/ Juin 2013
Nos croyances sont notre façon de voir le monde. Mises à mal, est-ce que notre monde s'écroule ?
Que faut-il croire de nos croyances ? Que faut-il protéger bec et ongles ?
Nous étions dans notre berceau, tout fraîchement arrivés dans un monde si inconnu que nous n'avions pas d'idée dessus. De nombreux phénomènes provoquaient en nous des myriades de perceptions. Nous ne le savions pas, mais ça rentraient par nos yeux, nos oreilles, notre nez, nos papilles et même par notre peau et nos tripes. Et cela se répétait sans cesse, créant des sensations nouvelles.
Notre cerveau tout neuf commençait à s'en rendre compte. Et cet organe bien pratique nous permettait de marquer un étonnement agréable ou pas, de savourer encore plus, ou d'avoir peur, et même parfois les deux en même temps.
Ces marques, nous pouvions commencer à les ranger. Cela nous donnait même la possibilité d'anticiper sur les effets engendrés par les signaux du monde parfois similaires à ce que nous avions déjà vécu. Un guili-guili - un rire; une faim – des pleurs.
Le manège se poursuivait et notre cerveau marquait et marquait encore d'une façon toujours plus élaborée : une faim – des pleurs – un biberon – un câlin.
Nous allions aussi plus loin que la réponse instinctive, animale, en imaginant des réponses toujours plus élaborées, avec plus d'anticipations, plus d'inductions où une connaissance, construite et abstraite, pouvait se substituer aux alertes et signaux du monde. Nous créions de plus fines stratégies. Dans notre environnement relationnel, elles nous permettaient d'obtenir une meilleure attention. Dans la nature, elles avaient porté l'homme à devenir plus efficace que les meilleurs des prédateurs.
Au gré de nos anticipations et de nos inductions, nous avons imaginé d'autres formules. Nous avons fait cet énorme travail du cartographe qui par une réflexion sophistiquée crée une document plus lisible, plus utile, plus pratique dans ses symboles abstraits bien que paradoxalement plus éloignée de la réalité du terrain.
Peut être une autre marque : des pleurs – un biberon – un câlin.
Puis peut être une autre route : des pleurs – un câlin.
Ainsi sont nées nos croyances, les marques que nous avons construites. Les liens que nous avons fait, les modèles que nous avons créés qui ont fini par ne plus avoir besoin des signaux du monde réel pour nous guider.
Un grand nombre de nos perceptions du monde réel se sont transmuées progressivement en interprétations du monde virtuel et subjectif de nos marquages. Cela a donné une trame dense de croyances parmi lesquelles peut être celle-ci : pour avoir un câlin, il faut se plaindre !
Bien sûr, les autres personnes de notre environnement nous ont aidés à modéliser le monde.
Nos parents nous ont peut être aidés à croire "trop de pleurs, pas de câlin", à moins qu'ils n'aient consolidés la chose "encore plus de pleurs, encore plus de câlin".
Nos professeurs ont peut être aidés à croire "je me manifeste - je suis puni" ou bien le contraire "je me manifeste – j'ai une bonne note".
Au final, nous croyons tant de choses. Et nos croyances, bien loin de quelques vérités absolues, peuvent très bien être à l'inverse de celles de notre voisin. Le Mahatma Gandhi disait "Nous avons tous raison de notre propre point de vue, et il n'est pas impossible que tout le monde ait tort".
Bien entendu, ces petites illustrations simples sont à multiplier par des millions pour constituer notre système très complexe et très élaboré de croyances.
Que faut-il alors croire de nos croyances ?
Elles résultent pour beaucoup, non pas des signaux du monde mais de nos interprétations modélisées, conditionnées et virtuelles ?
Action – réaction.
Un événement externe ou même une impression interne et c'est une croyance qui naît et s'ajoute à notre bruit mental.
A ce stade, nous pourrions nous dire "arrêtons de croire !"
Laissons tout ce fatras et reprenons comme au départ : croyons en notre perception, et non plus en nos interprétations. Investissons le monde réel, désengageons-nous de la virtualité de nos croyances et son effroyable réseau mécanique : désapprenons !
D'accord !
Oui, ce serait une voie de liberté qui nous délivrerait de bien de nos limites.
Oui, ce serait une voie de vérité qui nous délivrerait de bien de nos erreurs et mensonges.
Admettons que nous puissions arrêter de croire.
Mais alors, pourquoi lisez-vous ce magazine ?
Et pourquoi l'écrivais-je ?
Nous alimentons ainsi nos systèmes de croyance, c'est sûr.
Serions-nous noyés dans le carcan de nos mots et de nos croyances, loin de la réalité pure ?
Pourquoi nous égarons-nous de la sorte ?
Nous sommes peut être égarés, sûrement confus. Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.
Nos croyances sont nos guides, comme la carte qui n'est pas le territoire, nous aide à cheminer. Face à l'impossible surplomb qui se dresse devant nos yeux, nos croyances nous poussent au chemin de contournement qui mène au franchissement.
Nos croyances sont notre connaissance qui nous permet de dépasser la très faible préhension de nos sens.
Elles sont aussi la structure psychologique si indissociable de notre fonctionnement humain. Si elles nous font perdre parfois l’acuité du présent, elles nous font mieux comprendre le passé, et même elles nous font voir l'avenir que nous projetons en nous comme une nouvelle dimension subtile de la réalité.
Sans nos petites croyances, fussent-elles erronées, c'est bien notre monde qui s'écroule.
Ce monde humain, ô bien sûr tellement imparfait, est notre monde, celui de l'homo sapiens sapiens : « conscient d'être conscient ».
Autant nos modèles peuvent-ils être étriqués devant la réalité nécessairement plus riche, autant notre faculté de créer nos mondes est exemplaire. Nos croyances sont des créations.
Le pas que nous faisons dans la vie, sans nos croyances est réactif, avec nos croyances il peut être créatif.
Albert Einstein disait : « il y a deux façons de vivre votre vie, l'une est de considérer que rien n'est miracle, l'autre est de considérer que tout est miracle ».
La clef est peut être bien celle-ci : soyons ce miracle créateur. Croyons en notre aptitude à croire plus qu'en nos croyances proprement dites.
Nos mondes virtuels, tissés de nos croyances, méritent mille fois de s'écrouler en un sens.
Toute notre histoire humaine regorge de témoignages de nos souffrances inutiles et de nos conflits stériles fondés sur nos oppositions stupides de croyances.
Mais ce sont ces oppositions, l'absence de conscience des limites que portent nos croyances qui méritent l'écroulement.
Si je crois une chose et que vous croyez l'inverse, et si de plus je crois en vous et vous croyez en moi, alors nous pouvons arrêter de faire grand cas de nos croyances respectives, nous pouvons nous écouter vraiment.
Notre plus grand tort est de faire la confusion entre vérité et croyance.
Nous pouvons percevoir la réalité comme elle est. Nous pouvons nous amuser de nos modèles contradictoires. Nous pouvons vivre ensemble cette grande vie réelle qui nous est donnée. Nous pouvons nous enrichir de ses paradoxes, et enfin, rire ensemble dans le vaste jeu de l'aménagement de nos propres croyances et de la création de nos mondes virtuels toujours renouvelés.
Bec et ongles, ce que nous avons à protéger en termes de croyance est notre pouvoir créateur, notre évolutivité à travers notre système de croyance subjectif, relatif, souple et tolérant.
Bec et ongles, protégeons notre aptitude à anticiper comme notre plus fiable assurance.
Bec et ongles, protégeons notre structure psychologique qui nous offre la sécurité d'une référence, d'une cartographie sans laquelle nous errerions vainement.
Et, sans doute, bec et ongles gardons et développons notre aptitude à améliorer nos croyances, à les aménager pour une toujours meilleure adaptation à un monde toujours plus grand et plus riche.
Ayons de fortes croyances dans un système d'une souplesse toujours plus prononcée.
Mais seriez-vous obligés de me croire ?
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