La performance de l'être
© xavier coquelle Novembre 2004
Etre ou avoir
L’entreprise n’est peut être pas un lieu ou Nicolas Philibert aurait pu ou voulu tourner son merveilleux film « être et avoir ». C’est dommage. Etre ou avoir ? L’entreprise semble faire un choix : avoir. Une enquête récente (publiée sur le journal du net) précise que la motivation principale des personnes en entreprise est la rémunération : avoir. Même le statut professionnel d’une personne se perd loin d’une idée de reconnaissance. Répondez rapidement à cette question : Vaut il mieux avoir le statut de directeur ou le salaire d’un directeur ? Je ne pense pas qu’il y ait photo aujourd’hui. Nous sommes dans une phase de dislocation des liens entre l’entreprise et le personnel.
Le petit bout du profit
Une entreprise est faite pour le profit. Et je suis d’accord. La vision excessivement financière qui s’est développée occulte les autres profits. Je pense au profit économique qui fait exister une entreprise dans la durée. Je pense au profit de vocation qui place une entreprise dans une certaine valeur ajoutée au monde. Je pense au profit de ses personnels qui peuvent se reconnaître dans une entreprise qui leur apporte apprentissage, fierté, satisfaction, … Et ces profits qui semblent grandement occultés plongent l’individu dans le manque. Ce qui est occulté se ressent !
Evolution des mentalités
Peut être y a-t-il un autre paramètre plus individuel. Après la focalisation du tout professionnel et du tout social, il semble que les aspirations à une vie plus pleine sur tous les fronts se multiplient. La position même des personnels change. Une maturité fait son chemin qui éloigne de l’entreprise qui ne sait adopter au mieux qu’une position parentale. Fausses promesses et illusions.
Et le boulot, ça va ?
Combien de fois avons-nous en réponse à cette question des expressions de déception et de vacuité. C’est dur, du stress, de la lassitude, des regrets de ne pas trouver un épanouissement, des regrets de passer son temps coupé de son couple, de ses enfants, de ses amis, de ses loisirs. Comme si l’entreprise ne savait plus répondre à nos besoins, nos aspirations. Comme si tout d’un coup, nous nous apercevions que nous avons d’autres domaines de vie que le professionnel, et qu’ils ont de la valeur. Peut être pas moins que notre vie professionnelle, peut être même plus. Pensée interdite, pensée coupable. Pire encore, nous nous mettons à penser à nous-mêmes. Gagner sa vie, ne serait-ce pas la perdre ? Horrible doute. Zone de contrainte.
Etats d’âme encore !
Finalement, ne serions nous pas face à ses sempiternels états d’âme qui ont fait frémir des générations de managers ? Oui, c’est bien ça. Des états psychologiques d’abord qui font qu’on aimerait bien être un peu mieux dans sa peau. Des états d’âme ensuite qui font qu’on aimerait bien être tout simplement mais pas dans cette mièvre version contrainte, étouffée de nous même qui semble être imposée par l’entreprise. Alors faut-il faire comme d’habitude : un beau discours, une petite prime, un recadrage façon « soyons sérieux, soyons pro actifs », un licenciement ? Les jeunes managers pourront essayer, les plus expérimentés proposeront une discrète compassion voire un stage de « développement personnel ». L’expérience managériale nous amène toujours plus profondément dans un rôle simple mais aux multiples dimensions : faire exister. Pourquoi ne pas affronter cette tendance vraiment ? Oui, le besoin de vivre augmente. Oui, la vie hors de l’entreprise se réhabilite. Ce n’est une guerre des mondes que si l’entreprise ne change pas de l’avoir vers l’être.
Un nouveau droit d’être
L’homme plein n’est pas celui qui possède mais celui qui est. Il est plus facile de voir ceci comme de la philosophie bas de gamme. Il est possible aussi de se dire que l’homme plein est celui qui est à l’optimum d’utilisation de ses ressources. N’est-ce pas une simple évidence ? Et si l’entreprise se mobilisait pour cet optimum à son profit aussi ? Certaines entreprises pratiquent le droit d’être depuis longtemps sous une forme simple : le droit d’être conforme à un profil type prédéfini. C’est simple, bien formaté et franchement manipulatoire. D’autres s’appuient sur de savantes recherches et typologies pour ouvrir la palette des profils ayant le droit d’être. Certaines atteignent même ce Graal typologique que peut représenter l’énnéagramme (mal utilisé). Plus compliqué, plus ouvert, plus « vérité », plus gourou et pas plus réaliste. Un nouveau droit d’être en entreprise pourrait fort bien s’appuyer sur la simple réalité présente d’une personne. Elle est ce qu’elle est, de plein droit.
Questions et contrat.
La bonne première question pourrait être : Comment l’entreprise peut elle concrètement respecter cela ? Une seconde bonne question pourrait alors être : tenant compte de ce qu’est cette personne, comment sa spécificité peut elle s’exprimer au profit aussi de l’entreprise ? Le contrat pourrait dès lors être : « Soit ce que tu es, devient ce que tu veux être, je t’y autorise et je t’y aiderai dans ton sens. En contre partie, autorise-moi à bénéficier de toi ». Une relation harmonieuse se construit dans l’intérêt mutuel. Le premier intérêt de l’entreprise pourrait fort bien être celui de l’intérêt individuel et spécifique d’exister.
L’équipe d’êtres
Multiplions ! Une collection hétérogène d’êtres uniques qui représentent de nombreuses ressources disparates. Ca fait peur ! Mais ainsi appliqué, le droit d’être donne à chacun la liberté de passer son temps à autre chose qu’à se protéger. Là, c’est clair, nous avons une perspective appréciable de gain de productivité ! L’écoute de l’entreprise libère l’écoute de l’individu. Nous sommes dans une situation nouvelle de motivation qui peut être désordonnée mais qui ne demande qu’à s’exprimer, et cela enfin de façon constructive. Chacun peut s’employer à être ce qu’il est plutôt que ce qu’il est censé être conventionnellement. Chacun peut voir l’autre comme une valeur ajoutée unique au groupe.
Le système, le groupe
Le cadre du groupe est fait de consentements individuels et de règles d’interaction, d’interrelations. Ces règles bien sûr doivent impérativement respecter ce droit d’être individuel. Elles restreignent les comportements situationnels en groupe, pas les êtres. Exemple : quand un membre du groupe parle, les autres l’écoutent (Contraignant peut être, mais est-ce si difficile à imaginer ? … ou à travailler dans les faits ?) Le fonctionnement du groupe peut alors être l’expression d’une liberté revendiquée de chacun et appliquée à des objectifs communs. Vers un objectif collectif défini, les défauts d’un individu sont peut être le contrepoids utile à la sur qualité des autres. Les qualités d’un homme sont le contrepoids indispensable aux défauts des autres. D’un point de vue systémique, défauts et qualités ne sont que des composantes d’un optimum collectif.
L’entreprise existante
Un être développé, libéré, autorisé dans ses talents, mis en excellence dans un groupe : c’est simplement possible si nous en faisons le choix. Mais au-delà du plaisir du jeu constructif que lui offre un groupe systémique, un tel être trouvera-t-il accueil décent dans l’entreprise ? (Notez la question, je parie qu’elle pourra vous resservir !) Je pense qu’il y a fort à gagner en considérant l’entreprise elle-même comme un être qui mérite la totalité de soi et l’autorisation à mûrir encore et toujours. L’entreprise a des besoins, peut avoir des valeurs. Elle a ses états d’être, ses difficultés, ses croyances, ses peurs. Elle a ses émotions dans son mouvement vers les autres : partenaires, marché, … Elle a ses limites et ses rêves. L’entreprise a ce même droit d’être, ce même droit de se sentir grandie par une mission qui la dépasse. Une entité morale dit-on ! Un être.
Etre : identité et mission
Voyez ces entreprises qui s’investissent ou investissent dans le développement durable. Un des « marchés » qui a la plus forte progression actuellement. Est-ce un nouveau feu de paille ou est-ce une nouvelle position d’être ? L’entreprise bien pensante est usée. Qui est dupe de cela aujourd’hui ? L’entreprise toute agissante n’appelle plus que des personnalités rognées d’elles-mêmes, perdues dans une vaine fuite en avant. Il est peut-être temps de repenser identité et mission pour l’entreprise. Et d’agir en conséquence ! Pourrez-vous dire demain que votre passage par cette entreprise est une de vos fiertés ?
La performance de l’être
Les êtres développés, ceux qui veulent le faire pourront peut-être alors voir l’entreprise comme un être digne d’une relation, une entreprise amie qui sait répondre au besoin fondamental d’accueil et au besoin de voir grand et beau. Etre pour l’être. Etre par l’être. Serait-ce un conte philosophique ? Découvrir et assembler des ressources pour le profit de tous. Exprimer ses talents dans une compétition qui est celle du mieux être. Si je suis mieux, je gagne. Si tu es mieux, je gagne à travailler avec toi. Le mieux vivre du groupe : je gagne ! L’identité plus pleine de l’entreprise : je gagne ! L’être plein est l’optimum de la performance. Pour ma part, je ne sais même plus si c’est une croyance personnelle ou une simple réalité de faits. Je vois avec un émerveillement quotidien en coaching la performance tout à fait concrète qui émerge de ces merveilleuses personnes qui m’ont fait l’honneur de leur demande d’accompagnement pour mieux être. Elles sont comme vous et moi, ni pires, ni meilleures. Elles ont juste décidé d’être le joyau qu’elles sont vraiment. Coaching de l’être, coaching de performance ? Désolé, je ne vois plus très bien la distinction entre les deux.
Etre ou avoir ?
Etre, c’est clair pour moi. De toute façon « avoir » est un bénéfice secondaire induit.
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